La pandémie a fait entrer en force le télétravail dans les entreprises, sans toujours mettre les salarié·e·s au cœur du dispositif. Tirons-en des leçons! Que révèlent ces différences d’approches sur le management en France ? Que garder de cette expérience inédite pour le télétravail régulier de demain ? Quelles leçons retenir et comment transformer tout cela en opportunité ?

Les montagnes russes du télétravail

Nous vivons des montagnes russes du télétravail depuis le début de la pandémie en France. Avant mars 2020, le télétravail régulier reste encore peu développé : 3% de télétravailleurs réguliers selon la DARES (Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques), 17 % selon les instituts de sondage les plus optimistes. Puis surgit un pic incroyable d’un télétravail exceptionnel pour un tiers des salariés français. Beaucoup préfèrent d’ailleurs appeler « travail à domicile » ce qui est vécu lors du premier confinement de mars 2020 (100 % du temps, avec les enfants présents et la vie sociale en moins) pour ne pas confondre avec les conditions d’un « télétravail régulier » ! Puis le 11 mai : déconfinement ! Le taux de télétravailleur·euse·s chute à 15% en quelques semaines, contrairement à d’autres pays européens, alors que le virus circule toujours. Et nous revoilà repartis pour un second confinement depuis fin octobre. Le fossé depuis est grand entre les entreprises qui maintiennent leurs salarié·e·s 100 % en télétravail à domicile depuis 8 mois maintenant (oui, oui, ça existe) et celles qui ont rappelé du jour au lendemain tout le monde au bureau. Entre ces deux cas extrêmes, beaucoup tentent de faire de leur mieux pour combiner prévention, efficacité et engagement au travail et mixer présentiel et distanciel. Quelles leçons retenir pour demain ?

Redéfinir le “Travail” au cœur du télétravail

Ahh cette question épineuse des activités télétravaillables, simple en apparence et pourtant assez révélatrice de l’insuffisante prise en compte du « travail » dans nos entreprises. Car oui, cette « injonction » du Ministère du Travail de faire réaliser en télétravail toute activité pouvant l’être, a permis de s’intéresser de plus près et concrètement au travail des salarié·e·s. Plusieurs exemples de situations rencontrées sont riches d’enseignement à ce sujet :

Le travail n’est pas toujours ce que l’on pense 

Dans telle structure, une catégorie des administratifs était totalement exclue d’un précédent accord télétravail. En effet leur activité était considérée comme non télétravaillable et les salarié·e·s n’étaient pas équipé·e·s pour travailler de façon nomade. Pourtant, lors du premier confinement, ces administratifs sont passés au télétravail en 48 heures, démontrant à la Direction que cela était parfaitement possible. L’entreprise réfléchit maintenant à un futur télétravail régulier pour tous ses métiers.

Dans telle autre entreprise, les métiers en lien direct avec la clientèle sur le terrain (chargé·e·s de clientèle, gérant·e·s techniques, etc.) étaient d’emblée perçus comme non télétravaillables. Or, la part grandissante des tâches de backoffice dans ces métiers fait que le télétravail, à petite dose, est non seulement possible, mais peut aussi permettre d’être plus efficace sous réserve de prise en compte de certaines contraintes à anticiper (retour au bureau le lendemain pour finaliser les tâches non télétravaillables d’un dossier par exemple).

Ces deux exemples soulignent l’importance de ne pas partir de ses propres représentations du travail des autres, mais de s’y intéresser concrètement, sans a priori et en impliquant les premiers concernés.

Le premier expert du travail reste celui ou celle qui le fait 

Cela semble logique et naturel, mais pour comprendre la réalité du travail, rien de tel qu’échanger et impliquer celles et ceux qui le font, les équipes de terrain. Car oui, la façon dont le travail se passe exactement, l’ensemble des activités réalisées sur le terrain pour atteindre les objectifs tout en s’adaptant à la réalité des situations, seuls les salarié·e·s peuvent rendre cela visible. Au-delà des résultats accomplis, il est essentiel de comprendre le « comment », ce qui a été mis en œuvre pour cela, avec quels compromis, car c’est avant tout ça, le travail. Et non pas la représentation que l’on s’en fait. Analyser et comprendre avec les équipes la façon dont se déroulent les choses, les enjeux et les difficultés du quotidien, est une piste incontournable pour mieux construire le (télé)travail de demain.

Dépoussiérer les pratiques

Cette période est aussi (soyons résilients !) l’occasion de se questionner sur son organisation et ses pratiques. Elle n’est pas uniquement source de contraintes, mais également de ressources à capitaliser, pour en sortir grandi·e·s demain et susciter l’engagement au travail.

Cette assistante ressources humaines indique par exemple que depuis la pandémie, sa structure a développé de nouveaux outils : pdf modifiables, signature électronique, application pour scanner des documents, mise en place de systèmes visio. Aujourd’hui, celle-ci fonctionne quasi sans papier, alors qu’avant la crise elle n’envisageait pas son travail sans dossiers papier indispensables. La crise passée, elle ne souhaite pas revenir en arrière, au travail d’avant. Cette expérience démontre, et elle est loin d’être isolée, que la pandémie et son travail à domicile exceptionnel, a donné un grand coup de pied dans la fourmilière des pratiques actuelles.

Autre exemple avec une structure qui a complètement repensé ses modes d’échange et de communication. Pandémie oblige, une responsable de service dont l’équipe est dispersée sur le territoire, a remplacé son unique réunion mensuelle présentielle par des temps distanciels. Plus courts. Plus réguliers. Plus organisés. Le premier confinement aura été l’occasion de retravailler collectivement sur le « qui fait quoi » dans le service, ce qu’ils n’avaient pas pris le temps de faire depuis longtemps.Les deux points hebdomadaires mis en place, en plus d’un temps présentiel mensuel, semblent vite indispensables, pandémie ou non, pour le bon fonctionnement du service et pour le travail collectif de demain.

Interroger et impliquer les salarié·e·s

Finalement, comment penser et améliorer le travail ? Quelles organisations mettre en place pour être plus efficace aujourd’hui et demain ?

Le chemin le plus simple reste d’impliquer les équipes de terrain, mais sait-on vraiment ce qu’elles veulent ?

Les idées reçues restent encore nombreuses sur ce que recherchent prioritairement les salarié·e·s, ce qui explique qu’ils ou elles ne sont pas toujours sollicité·e·s, ou bien que les informations ne remontent pas. Des chercheuses américaines ont d’ailleurs posé les bases d’un concept intéressant, il y a 20 ans déjà, celui de silence organisationnel (1). Celui-ci fait depuis l’objet de nombreux travaux, controverses et approfondissement.

Parmi les différentes dimensions ne favorisant pas la remontée d’information et l’ouverture du dialogue, on note la notion de croyances managériales : les salarié·e·s seraient égoïstes et prioritairement centré·e·s sur leurs intérêts personnels, seul l’encadrement saurait ce qui est meilleur pour l’organisation. Cela ne laisse pas indifférent et a le mérite de mettre les pieds dans le plat sur l’épineux sujet du management participatif. Les études européennes pointent d’ailleurs qu’en France, nous sommes loin d’être les premiers de la classe dans ce domaine.

Pourtant, dans plusieurs cas d’accompagnements menés, les préoccupations premières des équipes portaient sur la qualité du travail réalisé et l’atteinte des objectifs. Toutefois, cela n’était pas toujours partagé avec les équipes encadrantes. La posture de tiers intervenant a permis alors de créer les conditions d’un dialogue et de casser les « représentations » que chaque catégorie d’acteurs avait sur l’autre. La première phase de crise correspondant au premier confinement a d’ailleurs marqué positivement plusieurs directions de structures, surprises par l’engagement parfois très fort des équipes pour remplir les missions au mieux.

Pour autant, trop nombreuses encore sont les situations rencontrées où les solutions d’amélioration sont apportées par l’encadrement uniquement, sans nécessairement solliciter les équipes qui effectuent le travail, ou sans prendre appui sur elles. Ce n’est pas nécessairement intentionnel, on observe plutôt une habitude bien ancrée dans les organisations de prendre les décisions au niveau du management, sans remise en question de ce mode de fonctionnement. Un axe essentiel ici porte sur l’accompagnement de l’encadrement pour ouvrir et animer des espaces de discussion sur le travail, en vue de faire participer les équipes pour l’améliorer dans toutes ses dimensions : tant dans ses conditions de réalisation que sa qualité ou ses résultats.

Créer du lien social, du collectif et du soutien

Ces montagnes russes du télétravail que nous vivons dans cette période de pandémie ont démontré combien le travail est créateur de lien social et de collectif. Les situations d’isolement, le délitement du collectif ont souvent été soulignés par les sociologues durant cette période, comme Dominique Méda, qui a alerté sur l’énorme risque d’isolement des salariés.

Au-delà du fait qu’un télétravail à trop forte dose n’est pas à recommander dans la plupart des cas, il est primordial d’animer des temps d’échange, de penser les collectifs de travail, d’être en soutien tant individuellement que collectivement, d’aller au-devant de situations à risque, de s’intéresser à la charge réelle de travail.

Le télétravail exceptionnel vécu lors de la pandémie est révélateur de l’approche et de l’organisation managériale dans chacune des entreprises concernées, mais aussi de chacun des managers, lorsque rien n’a été fait pour les accompagner et les outiller.

Les pratiques d’entreprises ont en effet été très variées. Dans certains cas, les managers ont bénéficié d’un appui, d’un outillage et d’un accompagnement pour le suivi et le soutien des équipes. Dans d’autres cas, on a constaté un isolement des managers, ceux-ci se débrouillant comme ils le pouvaient pour accompagner au mieux les équipes éparses.

Des initiatives fortes et mobilisatrices ont pu être développées : groupes d’échanges informels, soutien, appui et présence, temps collectifs, etc. À l’inverse, on a pu observer également des situations de burn-out, bore out ou d’isolement extrême.

Penser le travail de demain à partir de ces expériences vécues nécessite d’accorder une large part à la dimension collective et au lien social dans les futures organisations.

Paradoxalement, développer le télétravail, c’est avant tout prendre soin du collectif !

Le « Nini » du télétravail : ni « solution miracle » ni « avantage social » !

En résumé, le télétravail ne reste qu’une modalité d’organisation du travail, qui, selon la façon dont elle est mise en œuvre, peut soit pencher du côté de l’engagement au travail et de l’efficacité soit du côté des risques psychosociaux et du délitement des collectifs !

Ce n’est ni la « solution miracle », dont une partie des défenseurs survendent les promesses de modernité et de futur du travail (car il n’y a rien de pire que du télétravail avec un management « à l’ancienne »), ni un « avantage social » réservé à certaines catégories de métiers dans l’unique but de les favoriser (et adieu la cohésion d’entreprise).

Il est primordial de construire un positionnement propre à votre entreprise, qui place le télétravail comme un nouvel outil dans votre palette organisationnelle, au service à la fois de la qualité de vie au travail de vos équipes et de votre performance. Une invitation à penser « travail », car le travail, en réalité, c’est un peu tout ça à la fois !

Oser expérimenter !

Faut-il imaginer un télétravail régulier après cette pandémie, pour les entreprises qui n’en pratiquaient pas avant ? Ou revoir la façon de le déployer au regard de cette expérience ? Repenser une charte ou un futur accord télétravail ?

« Beaucoup d’entreprises ont réalisé des enquêtes auprès de leurs équipes sur leurs attentes du télétravail pour demain. Et s’engagent vers des démarches de généralisation. D’autres occultent totalement cette question et reviennent à la vie d’avant sans engager un dialogue ou fournir une explication : « Nous sommes revenus au bureau du jour au lendemain, sans explication. Nous ne l’avons pas bien vécu » partageait une salariée après le premier déconfinement. »

Une chose est sûre : cette situation exceptionnelle ne peut que nous inviter à expérimenter, innover en prenant appui sur les expériences vécues, les ressources développées, les difficultés avec les équipes de terrain.

 

Nous avons tous beaucoup appris de cette expérience inédite de télétravail en confinement. Capitalisons dessus pour créer le travail de demain. Profitons-en pour changer nos pratiques.Vous souhaitez mettre en place un télétravail régulier ? Contactez-nous !

« Expérimenter, c’est imaginer », comme le disait Nietszche, imaginons alors ensemble le travail de demain !

Et vous, quelles sont les nouvelles pratiques adoptées par votre entreprise depuis le confinement ?

Envie d’agir ? Contactez-nous ! 

 

Sources complémentaires :

(1) Silence Organisationnel : Morrison Wolfe Elizabeth et Milliken Frances J. (2000), Organizational Silence: A Barrier to Change and Development in a Pluralistic World, The Academy of Management Review, vol. 25, n. 4, pp. 706-725.